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Lac-Mégantic: la critique du Nouvel Obs


« Lac-Mégantic : ceci n’est pas un accident », la dérégulation menée à un train d’enfer.




Texte complet de la critique

Le 6 juillet 2013, il est 1h14 à Lac-Mégantic, localité québécoise située à 250 kilomètres à l’est de Montréal, lorsque les habitants perçoivent des vibrations inhabituelles au beau milieu de la nuit. Parmi eux, l’avocat Daniel Larochelle, l’un des nombreux témoins du documentaire : « J’ouvre les yeux. Dans ma chambre, la lumière est orange. Je me tourne vers la fenêtre et je vois une boule de feu entre deux arbres. De l’autre côté, j’entends des cris… Des cris de mort, des gens qui se sauvent. »


 Un « train-fantôme » de la compagnie Montréal, Maine & Atlantic (MMA) transportant plus de 7 millions de litres de pétrole brut vient de dévaler une pente de plusieurs kilomètres, depuis la ville de Nantes où il était stationné, et a déraillé en plein centre-ville. En quelques minutes, plusieurs explosions carbonisent 47 personnes, 2 000 autres seront évacuées dans la nuit. Une infirmière qui s’était précipitée à l’hôpital pour soigner les bless…

         

        

 és se souvient que personne ne s’était présenté car tous ceux qui s’étaient trouvés sur le passage du train étaient morts : « C’était terrible… » 

            

 « Une tragédie prévisible, annoncée, qui aurait dû être évitée »

             

Dans le centre de la bourgade de 6 000 âmes, une quarantaine de maisons, dont le Musi-Café, lieu de rendez-vous convivial apprécié des Méganticois, sont soufflées dans le gigantesque brasier. Le lendemain matin, ne reste qu’une plaie béante dans le cœur de la ville et celui de ses habitants. « C’est une tragédie prévisible, annoncée, qui aurait dû être évitée », martèle Anne-Marie Saint-Cerny, auteure, avec le dessinateur Christian Quesnel, d’une BD militante sur la catastrophe (« Mégantic, un train dans la nuit », Editions Ecosociété, 2021).

            

Une phrase qui résume bien l’ambition du réalisateur Philippe Falardeau dont la série documentaire, déployée en quatre épisodes d’une investigation minutieuse, a été récompensée au festival international canadien du documentaire Hot Docs de Toronto en 2023.

            

Entre les mille étapes judiciaires de cet incroyable sac de nœuds, les témoignages bouleversants des proches de victimes, l’état des lieux d’une ville et d’une population sinistrées et les alertes sur les risques d’accidents toujours encourus, son enquête soulève un abîme de questions.

            

Comment un convoi de 72 wagons-citernes transportant une matière explosive a-t-il pu se mettre en branle sans conducteur à son bord ? Pourquoi un incendie s’est-il déclaré dans la locomotive principale quelques heures auparavant alors qu’il était stationné pour la nuit ? Quelles sont les responsabilités de Thomas Harding, le chef de train parti se coucher sans avoir actionné tous les freins à main ? Celles de Richard Labrie, le contrôleur ferroviaire, et de Jean Demaître, directeur des opérations de la MMA au Québec, avec qui il était en liaison téléphonique cette nuit-là ? Quelles sont celles de la MMA et de son patron, Edward Burkhardt ?

            

 Face à la caméra, le cynisme du bonhomme – « un cow-boy du rail » selon Anne-Marie Saint-Cerny – n’a d’égal que les profits engrangés et les négligences accumulées par la société que Burkhardt mettra opportunément en faillite, seulement trente jours après l’accident.

            

Quel rôle attribuer dans cette affaire à Transports Canada, le ministère des Transports du gouvernement fédéral canadien, qui a donné son aval à la pratique du conducteur unique ? Pourquoi le rapport du Bureau de la Sécurité des Transports du Canada (BST) épinglant le défaut de sécurité à la MMA n’a-t-il pas eu de suite ? Comment l’entreprise a-t-elle pu tolérer que des rails défectueux ne soient pas remplacés et que des citernes transportant des matières explosives ne soient pas signalées comme telles ? Pourquoi la compagnie de chemin de fer Canadian Pacific possède-t-elle sa propre police ? Pourquoi la loi donne-t-elle aux compagnies ferroviaires le pouvoir d’édicter leurs règlements ? Pourquoi des voies de contournement des centres-villes ne sont-elles pas obligatoires ?

            

En finir avec la politique de l’autruche ?

             

Entamé à Sherbrooke en octobre 2017, le procès des trois ex-employés de la MMA accusés de négligence criminelle s’est focalisé essentiellement sur les douze heures qui se sont écoulées entre le moment où Thomas Harding est monté dans sa locomotive et celui de l’impact à Mégantic. Les trois hommes ont été déclarés non coupables en janvier 2018. « Une véritable farce » pour Anne-Marie Saint-Cerny comme pour les proches des victimes, puisque les responsables qui ont permis à ces bombes de circuler n’ont jamais été mis en cause.

            

L’intérêt d’une enquête consiste à éviter qu’un drame similaire se reproduise. Pourtant, la quantité de pétrole transportée par train ayant augmenté de 28 000 % en Amérique du Nord entre 2009 et 2013, trois explosions de wagons-citernes se sont produites en l’espace de six mois dans le Dakota du Nord, en Virginie et au Nouveau-Brunswick (Canada) en 2014, puis une autre dans l’Iowa en 2018. Le dernier épisode revient aussi sur un déraillement en Colombie-Britannique en 2019 qui a coûté la vie à trois employés de la Canadian Pacific, dont le jeune Dylan Paradis, embarqué vers une mort certaine aux commandes d’un train fou dont les freins ne répondaient plus.

            

A Mégantic, Robert Bellefleur, à la tête d’un collectif de citoyens engagés dans la sécurité ferroviaire, continue de traquer les défaillances des compagnies de chemin de fer, rails salement endommagés ou étiquetages non conformes des citernes qui passent sous ses yeux scrutateurs : « Lac-Mégantic a éveillé nos consciences mais visiblement pas assez pour que nos hommes politiques comprennent qu’il est plus que temps de réguler cette industrie. » 

            

 ◗ Dimanche 12 mai à 21h00 sur Planète+ Crime. Série documentaire de Philippe Falardeau (2023), 4x45 min. (Disponible à la demande sur myCANAL). 

       

         


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